Les philanthropes
Pièce en 2 actes
Mise en scène :
La scène se
passe à une terrasse de café.
Personnages :
Le buveur de
café, le buveur de bière, le nouveau client, et le serveur.
Au fur et à
mesure du premier acte, le buveur de café s’énerve, et tremble à force de boire
du café (il boit cul sec), alors que le buveur de bière s’enivre à boire de la
bière. Le buveur de café s’exprime de manière sèche, colérique, nerveuse, alors
que le buveur de bière est jovial, gauche, garde une distance amusée, et s’exprime plutôt
avec lenteur, et bonhommie. Le buveur d’eau de vie, est quant à lui cynique,
observateur et espiègle. Le serveur est plutôt froid et distant.
Le fil
conducteur est dépendant du comique de situation.
Les
didascalies sont en italique. Ne pas hésiter à laisser des silences assez
prolongés, lors de certains quiproquos, ou situations ubuesques, en manifestant
des expressions comiques (étonnement, circonspection, sourire, surprise…).
Le nombre de
consommations est indiqué entre parenthèses, comme repères de mise en scène.
Décor et accessoires :
Tables, chaises, verres, tasses de café, cendrier, parasol, bouteilles, journal,
cartes de visite, plateau, balais, pelle, décor de devanture de café si
possible …
Acte 1 / Scène 1
Le serveur et le buveur
de café
Le serveur nettoie les tables. Le
buveur de café arrive en premier, s’installe à une table et commande un café.
Le buveur de
café : Bonjour monsieur, on m’a dit que votre café était le lieu
d’improvisations théâtrales. Est-ce bien vrai ?
Le
serveur : Tout à fait ! Le thème du jour est la susceptibilité.
Le buveur de
café : Et bien, je ne vais pas avoir à trop me forcer. Ca tombe bien.
Le
serveur : Méfiez vous monsieur, parfois la fiction dépasse la réalité.
Qu’est-ce que je vous sers ?
Le buveur de
café : Un café s’il vous plait, bien serré !
Le serveur :
Tout de suite monsieur ! (sur un ton
entre l’exclamatif et l’interrogatif)
Le buveur de
café : (le serveur s’en allant) Il
allume sa cigarette. Et bien oui tout de suite, voyons, j’ai allumé ma
cigarette, le temps est compté !
Le
serveur : (se retournant) pardon ?
Le buveur de
café : Vous prenez du
retard !
Le
serveur à lui-même : quel emmerdeur !
Le buveur de
café : Pardon ?
Le
serveur : Quelle chaleur !
Le buveur de
café : Oui, c’est vrai, tiens, vous me mettrez un verre d’eau avec le café
!
Le
serveur : Bien monsieur, tout de suite monsieur (sur le même ton). Le serveur s’en va.
Le buveur de
café (A lui-même), et bien oui
tout de suite, il le fait exprès, ma cigarette va se consumer (tirant sur sa clope en toussant). Il
devrait le remarquer! La formation, ce n’est plus ce que c’était. Il se ronge les ongles, en s’impatientant
pendant un certain temps, jusqu’à ce que le serveur revienne.
Le serveur revient et dépose le
café(1) et le verre d’eau, puis nettoie les autres tables.
Le
serveur : Voilà monsieur !
Le buveur de
café : Trop tard ! Il éteint sa cigarette.
Le
serveur : Pardon ?
Le buveur de
café : Ma cigarette est terminée ! J’aime beaucoup fumer en buvant
mon café. Maintenant, je dois rallumer une cigarette. Il boit le café cul sec.
Le
serveur : Allumez-la au moment de le boire ?
Le buveur de
café : Je déteste attendre et ma femme déteste que je me ronge les
ongles ! Vous le saurai pour la prochaine fois. Elle commence maintenant.
Tenez-vous prêt ! J’allume ma cigarette. Partez !
Il
allume sa cigarette. Le serveur, voulant bien faire commence à courir, puis
tombe à terre, en se prenant les pieds sur son lacet défait.
Acte 1 / Scène 2
Le buveur de café, le
buveur de bière et le serveur
Le buveur de bière vient s’asseoir à
son tour, déplie son journal et regarde le serveur à terre.
Le buveur de
bière : Drôle de manière de faire sa prière !
Au serveur : S’il vous plait ?
Le buveur de café s’impatientant,
regarde méchamment le serveur, qui se relève.
Le
serveur : Oui monsieur.
Le buveur de
bière : Quel est le thème du jour ?
Le
serveur : Susceptibilité. Vous n’aurez qu’à rétorquer et à provoquer. Le
monsieur est très doué. Qu’est-ce que je vous sers ?
Le buveur de
bière : Une bière bien fraiche s’il vous plait !
Le
serveur : Blonde, ambrée ou brune ?
Le buveur de
café : (A lui-même). On se
croirait dans un bordel !
Le buveur de
bière : Pardon ?
Le buveur de
café : Non, je disais quel beau ciel !
Le buveur de
bière : Oui, en effet.
Au serveur : Et bien une blonde, pas trop forte,
s’il vous plait
Le buveur de
café : Qu’est-ce que je disais !
Le buveur de
bière : Pardon ?
Le buveur de
café : C’est un bel été !
Le buveur de
bière : Tout à fait.
Silence pendant un certain temps,
ponctué par la toux du buveur de café. Le buveur de bière le regarde dès qu’il
tousse puis détourne la tête, vers son journal, lorsque le buveur de café,
sentant son regard, le regarde à son tour. Ceci se répète à deux reprises. Le
buveur de café éteint sa cigarette. Le serveur amène le café (2) et la bière (1).
Puis, il nettoie les tables.
Le buveur de
café (au serveur) : Encore
trop tard, à croire que vous le faites exprès.
Au buveur de bière : Ca ne vaut pas du café
grand-mère !
Le buveur de
bière : Pardon ?
Le buveur de
café : Oui, je disais que le café (en
le montrant avec un coup de d’œil), ça ne vaut pas du café
grand-mère !
Le buveur de
bière : Ah, votre grand-mère faisait le café. Elle était
cafetière peut-être?
Le buveur de
café : (triste) Non, quelle
idée ! Elle est dans la bière !
Le buveur de
bière : Ah, mon grand-père aussi était brasseur, avant d’être cafetier !
Le buveur de
café : (irrité) Ecoutez
monsieur, ma grand-mère est en bière ! Laissez la tranquille.
Le buveur de
bière : Oui, je sais, brasseur est un métier difficile, dont la sérénité
dépend trop largement des aléas du prix de la matière première. C’est pour cela
que mon grand-père est devenu cafetier : quand le cours de l’orge a monté,
il a préféré le vendre que l’acheter. Aujourd’hui, c’est la montée du taux de
cholestérol qui a grimpe! Taux pour taux, sa foi dans la bière est une
affaire. Mais tôt ou tard, la bière dans son foie lui coûtera cher ! Il
finira sous terre! Et votre grand-père
était brasseur comme votre grand-mère ?
Le buveur de café et le buveur de
bière font un signe au serveur pour avoir la même chose. Le buveur de café
allume sa cigarette et fait signe au serveur de se dépêcher.
Le serveur va chercher les
consommations.
Le buveur de
café : Non, il est au cimetière avec ma grand-mère ou doit déjà être votre
grand-père après avoir cuvé sa bière. Une cuve pour une autre ! Mais, pour
vous répondre, non monsieur, mon grand-père n’était point brasseur, comme le
vôtre, sa cuve n’était pas une bière, sa cuve était plutôt une boite aux
lettres, mon grand-père était facteur, monsieur ! (condescendant)
Le buveur de
bière : (espiègle) Le facteur, à l’heure du café, ne fait
pas que boire des histoires lorsqu’il distribue le courrier ! Le courrier
pour le cafteur…
Le buveur de
café : (irrité) Facteur !
Le buveur de
bière : Le courrier est un prétexte,
autant pour boire que pour cafter !
Le buveur de
café : Si je puis me permettre, puisque vous vous permettez, je me permets
de me permettre de vous dire que vous êtes mal placé, en tant que petit fils de
cafeteur
Le buveur de
bière : (exaspéré)
Cafetier !
Le buveur de
café : Oui cafetier…pour insinuer que mon grand-père facteur est plus
cafteur qu’un cafetier ! Cafter pour un cafeteur….
Le buveur de
bière : (vexé) Cafetier !
Le buveur de
café : Où en étais-je ? Ah oui, cafeter est le fond de commerce du
cafeteur !
Le buveur de
bière : Cafetier !
Le buveur de
café : C’est du pareil au même ! Il
éteint sa cigarette.
Le serveur revient avec le café(3) et
la bière(2).
Le buveur de
café : (Au serveur) : Encore
trop tard. A croire que vous voulez m’enfumer ! Si ça continue, vous me
devrez un paquet ! (Il devient très
nerveux avec le café)
Le
serveur : Vous devriez moins fumer ! Ou boire du lait! C’est meilleur
pour la santé !
Le buveur de
café (au serveur) : On est
fumeur ou on ne l’est pas. Alors gardez votre morale de santé pour les buveurs
de Perrier.
L e
serveur : Je ne voulais surtout pas vous vexer. Monsieur m’en voit
désolé.
Le serveur continu de nettoyer les
tables.
Le buveur de
café : (au serveur) : Vous
êtes excusé, mais tenez vous prêt ! Entre parenthèses, les tables doivent
bien être nettoyées !
Au buveur de bière : Ou en étais-je ? Ah oui ! Le
café pour un cafetier est un prétexte, autant pour boire que pour cafter !
Sans les ragots du quartier, le cafetier fermerait boutique. Si votre grand
père (en insistant) cafetier a besoin
de cafter pour vendre son café, le facteur, lui n’a pas besoin de cafter pour
distribuer son courrier !
Le
serveur (au buveur de bière) :
Boire du café est un prétexte, autant pour fumer que pour emmerder le
cafetier !
Le buveur de
café : Pardon ?
Le buveur de
bière : Le monsieur disait que boire du café est un prétexte autant pour
fumer que pour emmerder le cafetier, et je rajouterais les clients du café !
Le buveur de
café : Ca lui fera des ragots à raconter !
Le
serveur : Non, je jette vos ragots avec vos mégots ! Dit-il en prenant le cendrier pour aller le vider.
Le buveur de
bière (au serveur, s’en
allant) : La même, s’il vous plait !
Le buveur de
café (au serveur) : Un café.
Cette fois-ci, vous ne serez pas excusé. Allons, dépêchez ! Soyez à
l’heure ! Il allume sa cigarette.
Le
serveur : Bien messieurs ! Il
s’en va.
Le buveur de
bière : Je vous signale, monsieur, qu’à la fin de journée, lorsque le
cafteur…
Le buveur de
café : Facteur !
Le buveur de
bière : Je disais donc,
Le buveur de bière : (en insistant exagérément)
Lorsque votre grand père, facteur, à la fin de journée a fini d’écumer les
verres du quartier, et qu’il se rabat sur les troquets, comme celui de mon
grand-père (en insistant) cafetier, il n’est pas seulement messager des
nouvelles lettrées, mais bien des ragots récoltés, qu’il raconte ensuite au
cafetier ! Le facteur boit à tous les râteliers, à tous ceux du quartier
où il distribue le courrier, et échange volontiers une petite rumeur contre une
petite tumeur, mais aussi au bistrot, où il ne rechigne pas à ce qu’on lui
offre un petit remontant pour raconter les dires qui remontent de la
vallée !
Le serveur revient et dépose la pression
(3), le café(4), et le cendrier, et
repart chercher un balais et une pelle. Il revient et tend l’oreille à la
conversation tour en balayant. Le buveur de café éteint sa cigarette, boit le
café cul sec.
Le buveur de
café : Je vous signale monsieur, que le cafetier, est bien heureux de voir
arriver, le soir, le facteur, et d’écouter (en
articulant exagérément) ses ragots tous chauds, afin de les raconter le
lendemain aux alcolos de son bistrot, pour qui l’alcool est un prétexte, mais
qui veulent juste connaitre les histoires rapportées du facteur, sans qui le
cafetier fermerait boutique !
Le buveur de
bière : Monsieur, si votre grand père, facteur le cafteur était aussi
aimable que vous-même, il me semble assez improbable, que les camarades de mon
grand père, cafetiers et leurs clients aient
eu la patience d’écouter un emmerdeur et
ses mauvaises humeurs pendant des heures.
Au
serveur : Vous me mettrez la même, camarade !
Le
serveur : Bien, monsieur.
Le buveur de
café : (Au serveur) : 2
cafés « tout de suite », j’allume ma cigarette, j’en aurais un
d’avance, je prends les devants comme vous arrivez en retard ! Il parle de manière de plus en plus sèche
saccadée et nerveuse.
Le
serveur : (au buveur de bière) :
Nous emmerder est un prétexte, autant pour s’énerver que pour exister !
Le buveur de
café : Pardon ?
Le buveur de
bière : Le monsieur disait que vous étiez doué, pour nous faire chier, à
croire que vous ne le faites pas exprès ! Soit vous jouez et vous êtes
très doué, soit vous êtes complètement névrosé !
Le buveur de
café (au serveur) : Vous, gardez votre mauvais esprit pour
les buveurs de liqueurs, et soyez à l’heure.
Le serveur s’en va chercher les
consommations.
Le buveur de
café : Au buveur de bière :
Et vous, vous feriez mieux d’économisez votre salive pour rincer votre bière.
Au buveur de bière : Et si vous voulez former une commune
de cafetier, n’oubliez pas d’en parler à votre camarade serveur, et d’aller réveiller votre grand-père, cafeteur
pour alimenter vos médisances éructées à un honnête petit fils de facteur, fils
de gendarme ! Lui-même huissier. Oui monsieur, je suis huissier ! Et votre père ?
Le buveur de
bière : Comptable ! Il aurait sûrement dit qu’au nombre de cafés,
c’est la crise cardiaque assurée.
Le
serveur : On serait enfin débarrassés !
Le buveur de
café : Pardon ?
Le serveur :
Je disais que c’était vraiment une belle journée !
Le buveur de
café, (au serveur, s’en allant) :
Profitez-en ! ca sera la dernière! Je viendrai demain matin pour m’assurer
de la fiscalité de votre troquet !
Au buveur de bière : Votre père, au nombre de
bières que vous buvez, et au rythme de vos gorgées, dirait sûrement que vous ne
serez certainement pas réveillé demain matin pour venir soutenir votre camarade
cafetier !
Le buveur de
bière : Non, Je prierai monsieur. Je prierai pour qu’une crise
cardiaque vous attaque! Je suis curé, monsieur.
Le buveur de
café : Notre père, qui êtes trop vieux, que votre nom soit oublié, que
votre règne déteigne. Que votre volonté soit défaite par vos serfs à l’hôtel.
Reprenez à toujours votre vin qui nous bourre. Cessez de prendre notre défense
et pardonnez à ceux que vous avez fessés. Et livrez vous aux femmes pour les
siestes et siestes. Amen.
Le buveur de
bière : Votre père ! Il y a erreur sur la paternité. Je n’aurais
jamais enfanté un huissier. La charité a ses limites, autant que ma pitié, et
les cafetiers ne font pas des cafteurs (rire narquois) Et puis, je ne pourrai léguer ma chapelle aux
mains d’un huissier, surtout pour qu’il revende nos verges, euh...nos vierges….
euh… nos cierges ! Il commence à être saoul.
Le buveur de
café : Et bien puisque s’en est ainsi, je viendrai m’assurer de la
fiscalité de votre presbytère, mon père.
Le buveur de
bière : Oh, vous savez depuis que l’aumône est donnée aux mômes, nous
n’avons plus rien à déclarer.
Le serveur apporte 3 cafés (5, 6, 7)
et la bière (4). Le buveur de bière la boit cul sec et fait signe pour la même.
Le buveur de
café : Il éteint sa cigarette. Encore
en retard, A croire que vous le faites vraiment exprès. J’avais demandé
seulement deux cafés. Vous avez quelque chose à vous faire pardonner ?
Le
serveur : C’est offert par la maison.
(au buveur de bière) : Si ça peut encourager la crise cardiaque.
Le buveur de café les boit d’une
traite et fait l’appoint.
Le buveur de
café : Demain, je serai « à l’heure » (en insistant). Il s’en va en tremblant et s’écroule.
Le buveur de
bière (au serveur) : Vous avez
mis la dose.
Le
serveur : Il faut ce qu’il
faut ! On ne badine pas avec les huissiers.
Le buveur de
bière : Mais, il ne faisait que jouer ?
Le
serveur : N’oubliez pas que je joue aussi. Cependant, Il joue tellement
bien que le doute m’a gagné. Il faut maintenant s’en débarrasser. Vous avez une
idée ?
Le buveur de
bière : Laissons le reposer, on avisera après.
Le
serveur : Oui, vous avez raison, mais cessons de jouer, la situation prend
une tournure inopinée.
Acte 1 / Scène 3
Le curé, l’huissier, le serveur et le
nouveau client
L’huissier est allongé au sol. Le
serveur revient, dépose la bière(5). Un nouveau client arrive, s’assoit. Le
serveur balaie sa terrasse.
Le nouveau
client : Vous n’appelez pas le SAMU ?
Le serveur
et le curé : Non, c’est un
huissier.
Le nouveau
client : (interloqué) On fait
porter le chapeau aux huissiers. Ils ont le mauvais rôle, mais il faut bien
qu’ils travaillent. Le problème est qu’aujourd’hui, quand les faire
travailler ? Les mauvais payeurs doivent rester l’hiver près de la
cheminée, et au frais l’été, pour se vaporiser. Nous pouvons quand même leur
enlever le chapeau. Surtout en été, ça tient trop chaud. Une eau de vie s’il
vous plait !
Le serveur s’en va. Long silence
pendant lequel les deux clients s’observent tour à tour. Quand l’un regarde
l’autre, ce dernier détourne la tête. Cette situation se reproduit à deux
reprises. Le curé lit le journal.
Le curé :
Ca ne vaut pas la bière d’abbaye ?
Le nouveau
client : Pardon ?
Le curé :
Je disais, l’eau de vie, ça ne vaut pas la bière d’abbaye !
Le nouveau client : Vous êtes abbé,
peut-être!
Le curé :
Non curé !
Le serveur a entendu la fin de la
conversation. Il dépose le verre (1) au nouveau client.
Le
serveur : (stupéfait, après un long
silence)
Au buveur de bière : Monsieur, euh...mon père !!...Mon
dieu !! Ca ne va pas recommencer.
Au nouveau client : Monsieur, quoiqu’il en soit de votre
situation familiale, et de ce que vous consommez à boire, croyez moi, il vaut mieux
vaut s’arrêter là, pendant qu’il est encore temps de préserver la santé mentale
des spectateurs ici présents.
Le nouveau client : Ne
vous inquiétez pas mon brave, je suis orphelin et ne bois que de l’eau de vie. Par
ailleurs, laissez moi vous dire que concernant votre étude de marché, l’idée de
placer votre café sur une scène de théâtre est tout à fait appropriée. Parler à
ses voisins de table au café, est devenu digne d’un musée. On préfère y fumer
pour accélérer sa destinée, ou boire pour oublier que sa destinée est à côté.
Le
serveur : Ce café n’est pas exactement comme les autres cafés. C’est un
café théâtral, le thème de ce matin était la susceptibilité, c’était tellement
bien joué que l’huissier y est resté. La susceptibilité des uns nourrit
l’humour des autres. L’inverse est vrai aussi, d’ailleurs. Reste à savoir si le
peuple des Huns avait le sens de l’humour.
Le nouveau
client : Et quel est le thème de cette après-midi ?
Le
serveur : Il n’y en a pas. On improvise.
Le nouveau
client : Mais alors, quelle est la part de fiction, et celle de
réalité ?
Le
serveur : C’est à vous d’en juger.
Les deux observent attentivement et
longuement le buveur de bière qui a du mal à se tenir assis, et manque de
tomber de sa chaise.
Le
serveur : Les curés, ce n’est plus ce que c’était !
Le nouveau
client : Tout à fait, plus obsédés par la fesse que par la messe.
Le
serveur : Et par la bière que par le Saint-Père.
Le curé continue de lire le journal.
Il sent les regards peser sur lui.
Le curé : Pardon ?
Le serveur :
Vous devriez aller vous coucher, vous allez l’air fatigué !
Le curé :
Vous avez raison. Je suis bourré et crevé. Et demain, je suis de messe. Le 7ème
ciel, je savais que je n’’irai jamais, mais le 7ème jour, j’en suis aussi privé, le dimanche, je suis de
corvée. Bonne soirée.
Au nouveau client : Ah j’oubliais, vous n’êtes pas
banquier par hasard, je n’ai pas de
liquidité.
Le nouveau
client : Non, je suis croque mort.
Le curé :
Croque mort ! Et bien, parfait ! Laissez donc votre carte sur
l’huissier.
Le croque
mort : C’est ce que je comptais faire, je connais mon métier !
Le croque mort se lève et va déposer
sa carte, qu’il met dans une poche de la veste de l’huissier, pendant que le
curé monologue.
Le
curé : Quel beau métier. On nous vend des cercueils comme des divans. Vous
verrez, vous y serez très à l’aise, c’est un peu molletonné. Garantie dix ans,
le temps d’un repos bien mérité, les asticots prendront le relais. Bon, et bien
moi j’y vais.
Le curé se lève. Il va déposer sa
carte dans la poche de l’huissier. Le curé et le croque mort sont debout près
du corps.
Le
serveur : Attendez, vous n’avez pas réglé !
Le
curé : (Au serveur) : Un
instant.
Le curé fait les poches de l’huissier
et en sort de la monnaie.
Il s’avance vers le serveur.
Le
curé : (au serveur) :
Tenez, vous l’avez bien mérité. Ce n’était pas prémédité ! Et ça arrange bien
mes finances. Qui eu pensé que l’huissier y serait resté.
(Au croque mort) : Je vous laisse ma carte. Quand
l’eau de vie aura eu raison de la votre, l’eau bénite prendra le relais. Et ca
sera un petit coup de rouge assuré !
Le croque
mort : Merci bien, je vous laisse ma carte aussi, pour votre mise en
bière. (A lui-même) : C’est bien
parti.
Il s’avance et paye.
Le
serveur : N’oubliez pas l’huissier.
Le curé et
le croque mort (enjoués) : Ne vous inquiétez pas, on ne va pas
cracher sur un client. Pour nous aussi, c’est la crise.
Les deux clients s’avancent vers le
corps. Pendant ce temps, le serveur se parle à lui même.
Le serveur (à lui-même) : La crise à bon dos.
Cela à l’air bien parti pour que ces deux là jouent, malgré eux la cupidité.
J’en fais le pari ! Je vais rentrer
dans leur jeu pour voir jusqu’où ils sont capables d’aller.
Acte 2/Scène 1
Le curé, le croque mort, et l’huissier
Pendant ce temps, le
serveur est affairé dans son café.
Le curé attrape les bras de
l’huissier tandis que le croque mort attrape ses pieds et tirent, chacun de son
côté le corps.
Le curé :
Monsieur, je vous prie de lâcher immédiatement cet homme, je l’ai rencontré en
premier, c’est mon client !
Le croque
mort : Cet homme aura de toute
façon besoin d’un croque mort. Du reste, cet homme est peut-être bouddhiste,
juif ou musulman. Vos services relèvent donc de l’hypothèse. C’est mon
client !
Les deux hommes tirent chacun de leur
côté en vitupérant :
Le curé :
Non, c’est mon client ! Pour moi aussi, c’est la crise, les églises se
vident. Une cérémonie, ça n’a pas de prix !
Le croque
mort : Non, c’est ma crise…Euh, mon client !
Le
curé : Ma crise !
Le croque
mort : Mon client !
Cette scène se répète jusqu’à ce que
l’on entende un cri perçant :
L’huissier :
Aii !! Mais vous me faites mal.
Le curé et
le croque mort, ensemble : Il
est vivant !!
L’huissier :
Plus pour longtemps, si vous continuez à m’étirer comme ceci ;
Le curé (au croque mort) : Tirez
alors !!
Le croque
mort : Mais je ne fais que ça. Vous aussi tirez, bon de dieu !!
Le
curé : Je n’en peux plus. La bière fait son effet. Je sens le coma
arriver.
Tout à coup, le curé épuisé, lâche les
bras de l’huissier et tombe. L’huissier se relève, tâte le pouls du curé, le
prend par les bras. Le croque mort se jette sur les pieds du curé et s’en
empare.
L’huissier :
Saviez-vous que ce café est un café théâtral ?
Le croque
mort : Oui, le thème de ce matin était la susceptibilité, à ce qu’il
parait.
L’huissier :
Je suis au courant. On y joue plus vrai que nature, quitte à y laisser sa peau.
J’ai failli y rester. Je ne sais
plus quelle est la réalité, et si je dois jouer ou ne pas jouer. Il ne respire
plus. A moins qu’il joue. Mais à quoi ? Ne perdons pas de temps, nous
avons du travail.
Le croque
mort : Où comptez vous l’emmenez comme ça ?
L’huissier :
Au presbytère, pour m’assurer de sa fiscalité.
Le croque
mort : Mais il est mort.
L’huissier :
Justement. Personne pour m’empêcher de vider le mobilier
Le croque
mort, (en prenant le curé par les pieds) :
De toute façon, vous n’irez pas loin, nous allons aux pompes funèbres. C’est
mon client ! Je ne pense pas me tromper en disant que mon secteur est certainement
beaucoup plus touché par la crise que le votre. La crise fait des malheureux,
et vous, les huissiers, leur prenez leur dignité par la reprise de mobilier. Alors
que nous, les croque mort mettons notre mobilier au service de leur
dignité !
Les deux tirent chacune de leur côté.
L’huissier :
Notre secteur est bien plus en crise, les appartements sont vides. Alors que
les maisons de retraite sont pleines. C’est mon client ! Lâchez-le croque
mort ou je vous mords !
Le croque
mort : Non, c’est mon client, lâchez le vous-même ! Et vous n’allez
pas apprendre à mordre à un croque mort. Et cessez de tirer comme un forcené,
vous allez l’abimer ! Que va dire la famille. Il n’y a plus de respect.
L’huissier :
(en criant) Lâchez vous dis-je !
Le croque
mort : Non ! Vous, lâchez !
Les deux hommes tirent chacun de leur
côté pendant quelques instants.
Acte 2 / Scène 2
(Tous)
Le serveur en entendant les cris,
sort du café, avec une bouteille de verre à la main, s’approche et dit :
Messieurs, un
peu de dignité, voyons ! Ne vous battez pas pour un cadavre. Et un curé,
qui plus est ! Pour moi aussi, c’est la crise ! Et comment voulez
vous que des éventuels clients s’approchent, s’ils assistent à cette comédie
macabre ?
L’huissier :
Vous, mêlez vous de vos affaires! Et allez vous coucher, demain, nous avons rendez-vous,
n’est-ce pas ! Vous n’auriez pas oublié ?
Le serveur lève la bouteille et frappe
violemment la tête de l’huissier. Ce dernier s’écroule à terre. Le serveur tâte
son pouls.
Le
serveur : Cette fois, c’en est bien fini pour lui.
Le croque mort : Vous n’y allez pas de main
morte !
Le
serveur : Par ce temps de crise, je ne peux me permettre la visite d’un
huissier.
Le
curé : Mais ne faisait-il pas que
rejouer la susceptibilité ?
Le
serveur : Comment en être sûr ?
Le
curé ; En lui demandant, pardi !
Le
serveur : Et s’il joue le menteur, y avez-vous songé ? Et puis, on ne
joue plus, on improvise. Et n’oubliez pas que c’’est la crise. Que ne ferait-il
pas pour un nouveau client ?
Le croque
mort : Voulez-vous bien m’aider à transporter les corps aux pompes
funèbres ? Deux clients, c’est une excellente journée. Il faut fêter
ça !
Le
serveur : Je dois d’abord fermer mon troquet, je mettrai une bouteille au
frais.
Le croque mort joue l’air penseur.
Le serveur : A quoi pensez-vous ?
Le croque
mort : Je viens d’avoir une idée machiavélique ! Et si nous nous
associons vous et moi. Nous ne jouons plus, entendez moi bien ! Vous attirez les clients, les rincez excessivement
au café, à la bière, où à l’eau de vie. Et on les ramasse à la petite cuillère.
Qu’en pensez-vous ?
Le serveur :
Egoïste ! Et mes clients alors ?
Le croque
mort : Faites des prix au rabais, les clients vont affluer. On
récupère de l’autre côté : en nous associant, cela augmente le nombre de ma clientèle, et
mon chiffre d’affaire. N’est-ce pas ? On partage bien entendu les
bénéfices des frais d’obsèques des familles.
Le
serveur : Et si une enquête à lieu ?
Le croque
mort : Mon cousin est lieutenant au quai d’Orsay, il nous arrangera la
situation avec la police et les familles, la corruption n’est jamais autant
vivace qu’en temps de crise.
A ce moment, l’huissier lève la tête,
et dit :
L’huissier :
Mais, c’est une excellente idée !
Le croque
mort et le serveur : Mais vous n’étiez pas mort vous !
L’huissier :
La cupidité et l’intérêt font ressusciter (dit-il
en se levant)
Au serveur : Laissons notre querelle de côté. Si
vous m’acceptez comme associé ! Vous ne faisiez que jouer, vous êtes bien
sûr pardonné.
Le croque mort et le serveur se
regardent, interrogatifs.
Le croque
mort : On ne va pas cracher sur un associé !
Au serveur : Mettons notre rancune de côté, près
de la querelle, elles pourront jouer à la marelle.
A ce moment, le curé lève la tête à
son tour, et dit :
Le
curé : Va pour la marelle !
Les autres le regardent ébahis.
Le
serveur : On aura tout vu. Voilà qu’il se prend pour Jésus.
Le curé (en se levant) : Je m’associe à
votre projet. J’en ai ma claque de bosser dimanches et jours fériés. Commençons
par vos clients (au serveur),
ensuite, nous nous attaquerons aux vôtres (à
l’huissier). Ensuite aux miens. Nous ferons une étude de marché. Et puis,
pas de scrupule, l’Etat vend bien des armes, alors pourquoi ne pas faire du blé
sur les cadavres. Oui, c’est une très bonne idée. Et cela règlera en partie la
crise du logement, du couple et des retraites. On pourrait même demander des
subventions ! Si on peut être philanthropes !
Tous
ensembles : Si on peut être
philanthropes !
Les personnages sont à ce moment tous
debout, dans l’espace situé près de la terrasse de café, marchent au gré de
leur réflexion et discussions, et occupent l’espace de manière dynamique
lorsqu’ils prennent la parole.
Le
serveur : Je veux bien être philanthrope, mais comment allons-nous faire
pour maquiller tous ces cadavres ?
Au croque mort : Votre cousin est certes lieutenant,
mais il n’est pas magicien.
Le croque
mort : Vous avez certainement entendu parler du scandale de la viande de
cheval. Je suis sûre que l’entreprise scélérate, fermera les yeux sur l’origine
de la viande, moyennant finance.
L’huissier :
Idiot, Mais que mettrons-nous dans les cercueils ?
Le
curé : Et bien de la viande de cheval, pardi. Personne ne verra la
différence ! Les asticots non plus ! Ca écoule la viande de cheval,
et ça fait marcher l’écosystème. Si on peut être philanthropes !
Tous
ensemble : Si on peut être philanthropes !
Le
serveur : Mais que va-t-on dire aux familles des victimes, qu’on les a
tués par philanthropie, peut être ?
Le
curé : Exactement ! Les sectes ont un pouvoir que personne ne sous
estime. Ca passera comme une lettre à la poste. Victimes d’un gourou
misanthrope.
Le croque
mort : Philanthrope, vous voulez dire ?
Le
curé : Non, non, misanthrope.
Le croque
mort : Je ne comprends plus.
Le serveur (au croque mort) : Vous aussi !
Me voilà rassuré.
L’huissier :
Moi aussi !
Le
curé : Mais oui, le gourou les sacrifie car il n’est philanthrope que de
lui-même. Il liquide ses disciples car il hait le genre humain. Il fait passer
le sacrifice pour de l’amour, et l’amour pour le sacrifice. Une fois qu’il les
a vidés de leurs bourses, où qu’il s’est vidé les siennes, il recrute d’autres
adeptes. Sa misanthropie prend l’habit de la philanthropie. Son déguisement est
parfait.
Nous allons
nous déguiser ainsi. Si on peut être misanthropes !
Tous
ensemble : Si on peut être misanthropes !
Le
serveur : On ne devait pas être philanthropes ?
Le croque
mort : Oui, il a raison, nous devions être philanthropes.
L’huissier :
Bon, il faut choisir, misanthropes ou philanthropes ?
Ils se regardent tous avec une moue
mimant l’incompréhension, puis se tournent vers le curé.
Le
curé : Nous sommes déguisés en philanthropes. Suivez bon de dieu !
L’huissier au curé : Ce n’est tout de même pas
une raison pour jouer avec nous les gourous !
Le
curé : Je suis incorrigible, déformation professionnelle.
Le
serveur : Bon, où en étions-nous ?
Le croque
mort : Je résume.
Au serveur : Vous incitez vos clients à une
consommation abusive. Pour les plus tenaces, mettez un peu de poison, ça
facilitera nos affaires.
A l’huissier : Lorsque vous expulsez vos clients, envoyez-les
chez le curé. On fera une pierre deux coups.
Au curé : Vous-même, monsieur le curé, enfermez
vos clients dans l’isoloir. Ils se dessècheront tout seul. Il n’y aura rien à
faire. Par contre, il serait opportun et
judicieux de faire construire d’autres isoloirs, dans un souci de productivité.
Si pendant la messe, vos clients habituels entendent des cris, dites-leur
qu’ils subissent un exorcisme afin de purger leurs péchés. Vous préparerez
également les discours de cérémonie, vous avez l’habitude.
A tous : Ensuite, le cousin lieutenant du
quai d’Orsay informe ses collègues et les familles de l’emprise du gourou sur
les victimes. Les familles récupèrent les corps pour la présentation à domicile.
Nous les récupérons à notre tour. Nous réunissons les corps dans l’arrière
salle de mon entreprise. Nous les découpons, les vendons à l’entreprise
scélérate. Nous récupérons la viande de cheval. Nous chargeons les cercueils, vendus
pour l’occasion avec les couronnes de fleurs. La cérémonie et le tour est joué.
Le
serveur : Quelque chose m’échappe dans votre raisonnement.
Pourquoi
s’embêter à découper les corps, à les vendre, alors que nous pourrions les
mettre directement dans les cercueils ? C’est une perte de temps,
d’énergie et d’argent.
Le croque
mort : Nous devons faire disparaitre les preuves d’empoisonnement, les
traces d’alcool, de caféine ou d’eau de vie, au cas où enquête et autopsie auraient
lieu. Nous devons donc nous débarrasser des corps. Réfléchissez, l’entreprise
scélérate doit se débarrasser de sa viande de cheval. Et, celle-ci est en
recherche de nouveaux produits. D’autant, que nous vendons notre viande à un
prix au kilo défiant toute concurrence, et dont l’entreprise scélérate pourra
s’enorgueillir, en proposant à sa clientèle une viande savoureuse, méconnue par
ses clients. Ils se débrouilleront, en cas d’inspection, en faisant valoir que
la chaire humaine est très riche en protéine, et qui plus est chargée en alcool
et caféine. Ils pourront également vanter les bienfaits d’une ressource
renouvelable, en adéquation avec le Malthusianisme et le développement durable.
Si on peut être philanthropes !
Tous
ensemble : Si on peut être philanthropes !
Le
curé : Mais si une autopsie relève de la viande de cheval dans les
cercueils. Nous sommes cuits !
Le croque
mort : Le médecin légiste conclura, en toute évidence, que sa biture de la
veille a des conséquences fâcheuses sur l’exercice de son métier. Il arrêtera
de boire, ou changera de métier. Voilà tout ! Si on peut être
philanthropes !
Tous
ensemble : Si on peut être philanthropes !
Acte 2/ Scène 3
Tous
Le
serveur : Il faut fêter ça. C’est ma tournée !
Les personnages s’installent autour
d’une table. Le serveur est debout, il réfléchit, perplexe. Les autres le
regardent.
Le serveur:
Mais au fait, qui va découper les corps ? Ce ne sera pas moi, entendez le
bien.
Le
curé : Ni moi !
L’huissier :
Moi non plus ! Il nous faut un boucher ! (au croque mort) Vous croquiez bien les corps à l’époque pour
vérifier que les morts étaient bien morts. De là à les découper, il n’y a qu’un
pas, beaucoup plus grand qu’avec mon métier !
Le
serveur : Et qu’avec le mien aussi !
Le
curé : Et le mien, alors ?
Tous les regards se tournent vers le
croque mort.
Le croque
mort : Bon d’accord ! Mais vous laverez le décor !
Le
serveur : Parfait ! Bon, maintenant que nous nous sommes mis
d’accord. Qu’est-ce que je vous sers,
messieurs ? Un café, une bière d’abbaye et une eau de vie ?
Le croque
mort : Quelle mémoire ! C’est parfait.
Le
curé : Tout à fait !
L’huissier :
Vous m’épatez ! J’allume ma cigarette. Ne tardez pas !
Le serveur s’éloigne, les personnages
ponctuent le silence de phrases courtes, d’un ton enjoué, et laissant un
silence mesuré entre chaque intervention.
L’huissier :
Quelle idée ! Il se ronge
compulsivement les ongles jusqu’à
l’arrivée du café.
Le croque
mort : Machiavélique !
Le
curé : Démoniaque !
L’huissier :
Splendide !
Le croque
mort : Méphitique !
Le
curé : Vous voulez sûrement dire : méphistophélique ?
Le croque
mort : Oui, oui, Méphistophalique !
Le
curé : Non, méphistophélique, (en
insistant sur le e) La taille de la verge de Méphisto ne nous intéresse pas
ici. Respectez au moins notre feu Faust !
Les autres se regardent avec un air
circonspect.
Le serveur revient avec les
consommations, et les pose devant chaque personnage. Il s’assoit lui-même, avec
un verre.
L’huissier : Il se ronge les
ongles. (au serveur) Décidemment.
Vous êtes encore en retard. Il éteint sa
cigarette. J’ai perdu mes ongles. C’est ma femme qui va être contente !
Déjà que ce n’est pas la fête au foyer ! Je ne pourrai plus la griffer.
Elle, qui adore ça.
Le croque
mort : Vous n’avez qu’à la mordre. Aujourd’hui, il est de bon ton d’avoir
des pratiques sexuelles diversifiées. Votre femme n’en sera que gratifiée.
L’huissier (au croque mort) : Très bonne idée,
si on peut être dans le coup !
Le croque
mort : Surtout dans le cou ! Les vampires n’ont, heureusement, pas le
monopole du suçon ! Où croquerions-nous ?
Le serveur :
Tout va bien, alors. A la bonne heure !
Le
curé : A la bonne heure !
L’huissier :
A la bonne heure !
Le croque
mort : Trinquons à notre entreprise !
Tous
ensemble : A notre entreprise ! Ils
boivent en s’esclaffant de joie.
Le
serveur : (d’un air dubitatif) Mais
au fait… Tous le regardent inquiets,
en voyant sa propre inquiétude. Le silence est prolongé par les regards
insistants.
Vous ne trouvez pas que ce projet est quelque peu
disproportionné, eu égard aux maigres recettes financières qu’il est
susceptible d’engranger ?
L’huissier (déboussolé) : Oui, c’est exact.
Comment n’y avons-nous pas pensé plus tôt !
L e curé (glacé) : Oui, c’est vrai, nous
sommes une bande de branquignoles !
Le croque
mort : Les entreprises de pompes funèbres servent en réalité à blanchir le
trafic d’organe ! Ne le saviez-vous pas ? Les morceaux de viande
vendus à l’entreprise scélérate ne sont que les abats et les muscles, ça va de
soit ! Les organes seront vendus au prix fort ! Si on peut être
philanthropes !
Tous
ensemble : Si on peut être philanthropes !
Le
curé : Tout de même, tout ça pour de l’argent. Je suis loin de mon
sacerdoce.
L’huissier :
Oh, vous savez, il faut savoir changer de métier. Et développer des compétences
variées. C’est bon pour le curriculum vitae. Concernant votre sacerdoce, il
trouvera son compte dans un sac d’os. Et puis, l’argent n’a pas d’odeur. Si on
peut être philanthropes. Pour nous aussi, c’est la crise !
Tous
ensemble (sur un ton tant cynique et
enjoué) : Si on peut être philanthropes. Pour nous aussi, c’est la
crise !
Le croque
mort : Dommage, qu’il n’y ait pas de banquier, d’assureur ou d’actionnaire
parmi nous, on aurait bien rigolé ! Si on peut être philanthropes !
Tous
ensemble : Si on peut être philanthropes !
Ils rient tous d’un rire aussi
tonitruant que machiavélique. Les rires hantent la salle. Puis, les personnages
s’éloignent, sauf le serveur, qui monologue.
L e
serveur : Voilà à quoi le jeu nous a menés. J’ai gagné mon pari. Bon, je
ferme boutique, demain est un nouveau jour. Le thème sera l’utopie. Je ne suis
pas près d’être couché.
Le serveur range tables et chaises. ferme
le café, et s’en va. Rideau.
FIN
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